La Lettre d’Arboriculture 59 – Ete 2011
« Donc tu te dégages Des humains suffrages, Des communs élans ! Tu voles selon… »
A. Rimbaud
Qui suis-je ?
– Un chauffard-feuillu ? Un écureuil-citadin ? Un coiffeurpaysagiste ? (Voir un réducteur de têtes !)
– Élagueur, m’appelles-tu…Suite à une tempête, à cause de l’ombre, des feuilles qui tombent, de la piscine, des pucerons… Juste parce que c’truc, l’arbre, t’y crois pas, respire, croît, tutoie l’infini ! (Sentir les épaules pfff !)
À quelle professionnelle branche me rattache-t-on ?
– Exploitant d’allumettes géantes ? Gestionnaire de mobilier urbain ? Concepteur de ronds-points palmés ? (Ouïr le tronc commun !)
Je suis un Arboriste-Grimpeur. Je pratique l’art de la taille des arbres d’ornement. Un métier spécifique qui allie hautes compétences acrobatiques et sensibles interrogations biologiques. Je puis, confronté la plupart du temps aux problèmes de cohabitation entre deux espèces vivantes, l’une supposée supérieure et civilisatrice et l’autre supposée primaire donc bonne à soumettre, adapter mes actions de taille, d’abattage ou de soins avec raison et doigté. (Goûter le fruit défendu !)
À l’heure d’aujourd’hui, l’unique syndicat habilité auprès du ministère chargé de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche afin d’accompagner les évolutions de cette jeune profession et d’en définir le cadre législatif, se nomme l’Union Nationale des Entreprises du Paysage.
Comme son nom l’indique, celle-ci n’aime rien que moins se prévaloir de sa légitimité économico-politique. D’où son ardeur à maintenir dans une même convention collective des activités aussi différentes que tondeur de gazons, producteur de roses et arboriste-grimpeur.
D’où son assiduité à rogner, rabaisser le cursus « Taille et soins des arbres » en simple kit de coupeurs corvéables. D’où sa volonté à valhor-mépriser quiconque oserait s’épanouir hors de ses pesticides plates-bandes.
Réponse lapidaire de l’intéressé :
– Occupez vous de vos chevelus racinaires ! Nous les humains on les gère ! (Se toucher la voute plantaire !)
Que ces honorables décideurs se rassurent. Je ne désire point me faire le chantre d’un mouvement de contestation. À l’ère du chacun pour soi et pousse toi de mon chemin, j’ai toujours préféré l’école buissonnière. J’y ai découvert que « derrière la morale et l’idéalisme, derrière la philosophie et les bons sentiments règnent les pulsions, les désirs, l’inconscient, la volonté de dominer. »
Qu’au lieu d’accepter le tragique de la vie, furent élaborés tous ces concepts qui nous font croire que le réel se déploie en dehors : « Souffres en silence », « Time is money », « Arbeit macht frei », « Et viva la muerte ! ».
Qui me parle d’amor fati, d’ici et maintenant, de joie, d’allégresse… Qui m’ouvre ses bras quand je crie dans la nuit mon insatiable besoin de consolation ?
Personne ? Vivaldi ! Goya ! Hölderlin ! Billie Holiday ! Villon ! Personne !
Alors pour que personne ne sache à quel point je suis un animal effrayé, je sèmerais terreur et désolation, j’instruirais procès et punitions, j’érigerais dogmes et camps sociaux. J’empoisonnerais la terre et je vendrais le ciel ! Je deviendrais le Maître-Maux !
Et vous m’envierez rêveurs exsangues, travailleurs abrutis, artistes collabos ! Vous m’élirez champion de la Res-Publica !
Ô comme l’ivresse de cette vision me saisit. Comme l’idée de renier la vie en toute impunité me réjouit ! Président de la Société Française d’Arboriculture ne représentait qu’une étape, un coup d’essai dans ma carrière de carnassier. Certes, inscrire sur un curriculum le titre pompeux de cette association au service de l’arbre, m’apportera la caution écologique nécessaire mais sinon, vous comprendrez aisément hirsutes adhérents, qu’à de plus nobles fonctions j’aspire !
Justement, un prestigieux partenaire m’a récemment proposé un poste de communicantoufokonkacopaon-Huppé international !
Dans l’intérêt du bien commun, je n’ai pu refuser. C’est pourquoi lors de la prochaine assemblée générale, où de toute façon vous ne vous rendez jamais par peur de trahir vos principes aquoibonniste, je ne me représenterai pas. Rangez vos humeurs chagrines, mes adieux seront grandioses !
Je vous convie expressément les 24 et 25 septembre aux Rencontres de l’Arbre 2011 à venir y participer. En effet, quel plus symbolique endroit pour recevoir les honneurs qui me sont dus que Paris. Paris la frime ! Le parc de Bagatelle eut été plus approprié mais après tout le palais omnisport de Paris-Bercy avec ses rangs de méchants platanes allergènes constituera un assez digne mausolée. Au fait le parc s’appelle « Yitzhak Rabin », cet homme fut traité de traître et exécuté par les adorateurs de satan.
Vous voici prévenu, cymbale !
PS : À ces Rencontres j’ai invité aussi Sitting-Bull, histoire de savourer un véritable calumet de la paix entre ami-es sous la ramure de la nymphe Egérie. Nous y palabrerons sans doute de nuages bondissant, de merle moqueur de hache de guerre et de frais liseron. Pour une fois nous serons bénévoles dilettantes. Mes ami-es merveilleu-ses, fragiles, généreu-ses, frapadingues, doctes, curieu-ses, énervé-es, sensuel-les ou rudes croisés au bonheur des branches, je voudrais vous offrir ici mes plus belles larmes de clown.
Philippe Nibart